C’était… par une belle matinée de printemps. Enfin, d’automne. Mais dans l’Sud, vous savez, en t-shirt au soleil fin octobre/début novembre, on s’y perd, y’a plus d’saisons, comme on dit qu’y paraît.

Pour une reprise de la scène après un été d’absence, on peut dire que ce fut un feu d’artifice! Les quelques mois passés au chaud sur ma Côte d’Azur m’ayant permis de peaufiner et raffiner toutes les expériences acquises lors de la riche et longue saison précédente, je vivais avec une certaine fébrilité le retour aux répétitions et aux spectacles.
Je me retrouve entouré d’amis, je découvre de nouvelles personnes incroyables, le feu m’envahit: l’ambiance, les rires, la bienveillance, et le plaisir de rendre justice à un répertoire oublié… Mon cocktail favori!
Lorsqu’on s’attaque à un répertoire peu/pas/plus joué, on peut être pris d’un certain vertige. Par où commencer? Où trouver un bon enregistrement? Comment dégager un sens à l’oeuvre sans se sentir pollué par des traditions ou des a-priori? Lors de mes aventures Hervesques, j’avais le luxe d’un Alexandre Dratwicki et des ressources du Palazzetto Bru Zane pour faire émerger des sens nouveaux et anciens, mais à l’Odéon de Marseille, en tant que jeune interprète, j’allais me confronter à des interprètes chevronnés de ce répertoire, ayant joué l’oeuvre des dizaines de fois… Comment faire de Samy un bon Grenicheux?
Comment est votre Planquette?
Planquette. Qui est donc ce bonhomme dont je n’avais pas entendu parler? Heureusement, Wikipedia vole à mon secours. L’homme a composé plus d’une vingtaine d’opérettes, ses Cloches de Corneville ont été un immense succès international:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Planquette
Le plus fou, c’est que le premier enregistrement « son et image », réalisé par Edison, est la mélodie de l’Air du Mousse (Grenicheux) au 1er acte. En v’la t’y pas une anecdote qu’elle y est savoureuse?
Des accents werriers
Les vieux disques renseignent. Forcément, lorsque vous écoutez un enregistrement des années 50, 40, 30, vous raccourcissez d’autant la distance qui vous sépare du compositeur et des interprètes originaux. Peut-être même que vous pouvez tomber sur un chef d’orchestre ou un chanteur qui a connu lui-même le compositeur, voire même les interprètes ayant participé à la création.
Mais… vous mettez également de la distance entre l’oeuvre et l’oreille contemporaine. Peu importe qui a raison dans cette querelle des anciens et des modernes, les oreilles d’aujourd’hui ne sont plus celles de naguère, et il faut prendre en compte la sensibilité de celui qui écoute aujourd’hui. Ainsi, les traditions, les ports de voix, certains types d’émissions ou de vibratos semblent devoir appartenir au passé.
Pourtant, il ne faut pas s’y tromper: notre époque recèle ses propres artifices. Un chanté un peu trop parlé, une surarticulation, une perte de la couleur franche des voyelles, une gestion différente des registres… Nous avons nos tics! La sincérité reste, elle, intemporelle, et c’est entre autres à elle que nous devons nous attacher.
Aussi, à l’écoute des vieux disques des Cloches, on retrouve cette tradition d’imiter un « accent normand ». Mais c’est quoi au juste, l’accent normand? Ou encore devrait-on dire la langue normande?
YouTube encore une fois est une mine d’or. Des documents de l’INA sur des places de marché à un vieux prêtre racontant des histoires cauchoises, il est possible de remonter à l’authenticité de cette culture, de cette langue, de ces humains. Et paf! moi qui adore la linguistique, je tombe sur cette perle:
Donc, le son /g/ se prononce /w/, guerrier devient « werrier » et ainsi l’anglais « warrior »… Encore une bonne occasion pour se transformer en Johnny la Science devant les copains à la pause de milieu de service XD
Digue digue digue, digue digue don
Pour clore, tombons amoureux des oeuvres. Peut-être ne fermerons-nous pas la fracture qui existe entre l’art lyrique (et les musiques classiques) et le grand public, mais des interprètes amoureux, c’est ce qui a permis d’avoir une ovation du jeune public lors de notre générale ouverte pour les scolaires. D’avoir des gosses qui hurlent (littéralement) de rire devant des punchline de Planquette and co. Pour celà, il suffisait des décennies d’expérience du metteur en scène Jack Gervais, qui part sa bonne humeur, son artisanat furieux et sa subtile connaissance de ce qu’est la Tradition, pour insuffler de la vie à ces pages, aidé par le non moins expérimenté chef d’orchestre Guy Condette… Ah, un grand chef lyrique, ça vous laisse les genoux tremblants à la fin d’une musicale, quand vous vous dites « bon en fait, j’y connaissais rien à la musique française avant aujourd’hui ». Je vous assure c’est magique.
J’espère de tout coeur que ce Théâtre de l’Odéon, juché en haut de la Canebière, vivra longtemps. Les changements politiques, l’impermanence des choses, ou tout simplement des départs, un changement éventuel de direction… Tout ça peut fragiliser voire enterrer un lieu qui symbolise un art de vivre, une communauté de passion, de culture, d’humour, d’impertinence, de drôlerie, et dans un monde de l’art lyrique qui en manque cruellement: de bienveillance.
Je vous laisse en musique avec les Couplets du Mousse chantés par le grand Jerry Hadley, et surtout: gros bisous.